Les gorges de la Frau
Par Jean Labatut
J’étais descendu à Toulouse chez mon copain Freddy et nous prenions un verre à la terrasse d’un bistrot, place du Capitole.
— La semaine prochaine, je me rends en Ariège, dans le Pays d’Olmes, que me conseillerais-tu de découvrir ?
— J’opterai pour un endroit moins fréquenté par les touristes, en marge du très populaire site du château de Montségur : Les gorges de La Frau. La Frau vient de fragossus qui veut dire escarpé. Ce canyon n'accueille que de paisibles randonneurs et quelques marcheurs compétiteurs. Je trouve cette balade d’une surprenante beauté ! Et qui sait, poursuivit-il en souriant, peut-être y croiseras-tu la dame blanche.
La semaine suivante, au matin d’une journée ensoleillée, me voilà parti. Je traverse la charmante localité de Fougax, tourne sur la gauche et, après avoir franchi le pont du Lasset, m’engage dans la verdoyante vallée de l’Hers. A l’ubac, cerné par la sapinière, le roc des fenêtres se joue de l’équilibre. Passé le hameau de la Palanque et ignorant celui de L’Espine, je continue sur la D5, en direction de Pélail que je délaisse sur ma droite. L’aire de pique-nique toute proche est déserte à cette heure matinale, point de départ des 2 kilomètres qui me séparent de l’entrée du défilé des gorges.
Après la « Fontaine de L’Esqueille », la vallée se resserre de plus en plus, les éboulis viennent mourir au pied de la petite route goudronnée. Cernée par les branches de noisetiers et autres buissons poussant sur ses bords, la pauvre a bien du mal à respirer ! La pente raidit et j’en finis enfin avec le bitume.
Un sentier étriqué à la pente soutenue s’offre à moi. Les 500 premiers mètres avalés, un immense rocher à la paroi verticale me fait face : le Roc Mélier. Une source ferrugineuse exsudant sur cette paroi verticale lui a donné cette couleur de miel, dont il a hérité son nom. Je me trouve dans la partie la plus étroite des gorges. Cerné d’impressionnantes falaises, un goulet de 5 à 6 mètres à peine permet de laisser passer le torrent et le chemin abrupt sur lequel je progresse, étonné et admiratif par la beauté du site, sur plus de 2 kilomètres.
Le ciel est à peine visible tant les falaises sont hautes. Sur 3km, l’Hers a creusé dans la montagne un véritable canyon de 400m mètres de hauteur. Çà et là, des arbres faméliques, désespérément accrochés à des blocs de rochers, soutiennent jusqu’à leur dernière goutte de sève une lutte farouche avec la nature afin de ne pas finir leur vie, dans le lit du ruisseau, totalement à sec et d’une étonnante blancheur.
Arrivé à hauteur de la route forestière, je décide de faire une halte, mi ombre mi soleil, adossé au pied d’un vieil arbre moussu. Des odeurs à la fois subtiles et entêtantes de résine de pins tous proches, de fougères et de champignons flottent dans l’air, tandis qu’un geai cacarde, perturbé par ma venue. J’étire mes jambes douloureuses, bois une bonne lampée à ma gourde et sort du sac biscuits et pruneaux. Le bonheur !
Elle vint vers moi, pieds nus, diaphane, d’une blondeur extrême, vêtue d’une longue robe blanche, portant à sa taille une ceinture de mousseline cousue de fils d’ors et me demanda :
— Bonjour, ne trouvez-vous pas cet endroit merveilleux ?
— Oh bonjour ! Certes, mais une route permettrait à un plus grand nombre de découvrir l’endroit.
Son front se rembrunit et son visage s’empourpra :
— Autrefois les hommes ont tenté d'y construire une route, mais j’ai fait lever des orages si violents que les crues ont emporté leurs ouvrages. Il y a 3,5 millions d'années, c'est l’Hers, qui a creusé ce grand canyon près du massif de Tabe, à la frontière entre l'Aude et l'Ariège et rien ne doit ternir la beauté de ce site.
Etait-elle folle à lier ? Je crus deviner qu’elle avait lu dans mes pensées. Un orage d’une violence inouïe se leva, et j’entendis mugir le torrent en contre-bas. Elle poursuivit :
— Jadis, ce chemin cathare permettait aux bonshommes de rejoindre Comus depuis Montségur et de là, Montaillou tout proche. Les paysans allaient vendre leurs bêtes à la foire de Belcaire ou de Camurac et les habitants du Pays d'Olmes communiquaient avec leurs voisins audois, souvent à dos d'âne. Il était même un point de passage pour le trafic de tabac ou d'alcool venant de l'Espagne voisine. Mais voilà, l’ère de l’automobile est arrivée et le chemin est retombé dans l’oubli, termina-t-elle tristement.
Je perçus un bruit sourd et des voix fortes. Des vététistes venaient vers moi.
— On vous a réveillé ? Me demanda l’un d’eux, rieur. Nous venons de Comus et allons à Montségur en passant par Pélail.
— Et Comus, c’est encore loin ?
— Non, vous avez un peu moins de trois kilomètres pour arriver au pied du village. Vous passerez d’abord devant un bloc de pierre surmonté d’une croix et prendrez ensuite le chemin de « L’Oulza ». S’il vous reste du courage, vous pourrez aller au pas de l’Ours et bénéficier d’une vue imprenable sur les gorges en contrebas, la montagne de la Frau, la citadelle de Montségur et en arrière-plan, le pic de Saint Barthélémy.
Je les remerciai et leur souhaitai bonne route. Mes vêtements étaient secs, il n’y avait donc pas eu d’orage, ni de dame blanche, mais quel beau rêve j’avais fait ! Pourtant, lorsque je repartis, je découvris stupéfait un fil d’or posé sur mon sac et crus voir une charmante silhouette disparaitre dans les frondaisons du bois qui l’enveloppa comme un voile. Arrivé à Comus, après m’être restauré, je renonçais au pas de l’ours et refis ce merveilleux chemin à l’envers. A mon retour à Toulouse, je n’ai pipé mot à Freddy de la rencontre que j’avais faite, ni à personne d’autre d’ailleurs. A vous, en quête d’une belle balade, je vous conseille ce parcours ombragé le long de cet écrin rocheux, un véritable havre de paix et tant pis si vous n’y croisez pas la dame blanche.
Distance: A/R 15 km - 4h 45 ALT MAX. : 1166 m-Dénivelé : 566 m - IGN TOP 25 - 2247 OT