Une surpenante tour du seigneur de Léran
Henri Aussaguès
Certains éléments du patrimoine font sens et participent parfois plus que d’autres à la compréhension d’une histoire en action. Il en va ainsi pour l’éphémère « Tour du seigneur de Léran » témoin d’un temps et d’une société complexe.
« Une tour du seigneur de Léran » à Laroque, ville traditionnellement catholique, est pour le moins anachronique ou incongrue. Il faut dire qu’en ces temps agités, on est loin des habituelles protestations… Cette fois, les petites gens se révoltent pour de bon, tentent de s’organiser, de se fédérer sous la férule du seigneur de Léran. La tour symbolise, selon un mot du temps, « cette émotion » qui autorise et affirme tous les ralliements et toutes les transgressions…
C’est un fait, les Laroquais se sont bien associés à la Fronde ou plutôt aux Frondes, contre le pouvoir royal affaibli du jeune Louis XIV, mutineries conduites , de 1648 à 1653, par les Magistrats, les Grands du royaume et les Protestants .
Ils sont excédés par trois choses :
- la suppression définitive du paréage en 1651 qui met à mal l’équilibre des pouvoirs locaux et voit la régente, marquise de Mirepoix, Louise de Roquelaure s’attribuer d’autorité tous les droits de justice, le four banal et les moulins drapiers et fariniers d’Enfour, tout cela dans le but d’obtenir un rapide retour sur investissement de sa dot de 300 000 livres et de faire de Lagarde un petit Versailles…
- l’omniprésence des gens de guerre comme enracinés depuis la destruction de leur ville par les protestants en 1562…,
- et enfin par une taille royale en forte augmentation au prétexte de la guerre d’Espagne, impôt qui ne tient pas compte de l’évolution démographique et surimpose …
Encouragés par Jean-Claude de Lévis Léran et son fils Gaston, d’autant plus aigris qu’ils viennent d’échapper de peu en 1632 à la destruction programmée de leur château, les Laroquais affichent leur ralliement à cette Fronde qui n’a rien d’un jeu d’enfants.
Louis XIV, informé de la rébellion des Laroquais qui épousent l’esprit du temps et qui ont même l’audace de construire à la porte d’Amont une tour surnommée « tour du seigneur de Léran, » prend aussitôt sa plume :
Monsieur le marquis de Mirepoix,
« Ayant été informé qu’à la sollicitation du baron de Léran, qui est dans la partie contraire à mon service, la ville de Laroque, qui vous appartient, s’est révoltée contre son devoir, je vous fais cette lettre pour réduire ladite ville et y établir les ordres que vous jugerez nécessaires pour la conserver à mon obéissance.
Ce que vous serez soigneux d’accomplir, je prie Dieu, qu’il vous ait, Monsieur le Marquis de Mirepoix dans sa sainte garde. »
Ecrit à Pontoise, le onzième jour d’août 1652. Signé « Louis » d’une écriture manuscrite.
Il faut dire que cet enfant roi, né en septembre 1638, roi en 1643, n’a que 14 ans et signe sans doute la prose de Mazarin.
Les représailles ne tardent pas. Dès le 24 août 1652, Mademoiselle de Durfort qui agit pour le compte de sa sœur la marquise douairière et de son fils le marquis de Mirepoix, Gaston Jean-Baptiste, envoie 60 à 80 hommes qui maltraitent quelques habitants, recherchent les meneurs et tentent d’incendier quelques fermes dont celle du Bourlat.
Le 22 septembre, un intermédiaire qui a entrepris complaisamment des pourparlers avec la Marquise douairière annonce aux Laroquais que « la paix est faite » et qu’il s’agit d’aller simplement lui rendre soumission. Chose faite dès le lendemain puisqu’une importante délégation lui remet les clés de la ville. La dame se dit alors pleinement rassurée et ajoute : « je n’ai rien à dire. »
Quelle n’est pas la surprise des Laroquais quand, vers 8 heures, tambour battant, ils voient 2 000 à 3000 soldats et une soixantaine de gentilshommes à cheval pénétrer dans la ville en criant à tue-tête : « ville gagnée ! »
Il s’ensuit trois jours de pillage général avec la destruction de la tour dite du seigneur de Léran et d’une partie de celle de la porte d’Aval. Des archives et documents de la communauté sont pillés, les églises et métairies mises à sac et les portes de particuliers systématiquement enfoncées pour loger des gens de guerre, parfois plusieurs dizaines de soldats…
Il faut l’intervention du Gouverneur de la Province pour que la leçon prenne fin. Il faut dire qu’il a connaissance des visées de la marquise douairière dont le but avoué est l’humiliation et « le foulement » des Laroquais par les gens de guerre.
Quant à Jean-Claude de Lévis-Léran, le fougueux baron qui a entraîné les Laroquais, il voit ses terres confisquées au profit de ses cousins les Lévis-Montmaur. Puis, soupçonné d’avoir tendu une embuscade à l’un d’eux près de Mirepoix, il est jugé de façon expéditive et décapité à la hache le 21 janvier 1654. Son fils, Gaston VII de Lévis-Léran sera gracié en 1660 après avoir fait soumission à la couronne et à l’église catholique.
On dit que Louis sortit de ces épreuves mûri et que le danger fonda son caractère. Il aurait mesuré la perfidie des Grands et la versatilité du Peuple. Une solution s’imposa à lui : structurer la Cour et la placer sous haute surveillance. Il l’installa à Versailles dès 1682.