Actualités : Lettre à mon cher copain
René Ferrand
Lettre à mon cher copain
René Ferrand
Je ne te laisserai jamais dire que l’Occitan n’est qu’un vulgaire charabia. Cette langue que tu considères comme une bizarrerie et que tu sous estimes, représentait autrefois le mode d’expression d’une nation aujourd’hui disparue. Sache, qu’au douzième siècle notre région connut une hérésie religieuse, le pape Innocent III ordonna une croisade afin de la combattre et la vaincre. L’Eglise et la couronne de France s’allièrent pour atteindre cet objectif. Avec le recul il s’avéra que le véritable motif de l’intervention des deux puissances n’avait d’autre but que d’annexer et rattacher l’Occitanie au domaine de France. En 1243 à Lorris, Raimond VII comte de Toulouse se trouva dans l’obligation de faire allégeance au souverain français. Dès lors, notre région fut annexée et soumise par l’occupant à un diktat implacable, une interdiction absolue d’utiliser leur langue frappa les occitans, le latin devint alors le moyen d’expression officiel de notre région. A cette époque-là, en l’absence de système scolaire, il ne bénéficia pas d’un enseignement rationnel, son utilisation resta limitée et ne s’appliqua qu’aux ecclésiastiques ainsi qu’à quelques autres « fonctionnaires ». Grâce à cette déficience, notre peuple conserva la pratique de l’Occitan. Ainsi la volonté d’assimiler les intellectuels et le peuple dans sa généralité échoua. Comprends que notre dialecte provient du fond des âges. Certains racontent que les gaulois en fixèrent les premières règles, personnellement j’ai la conviction qu’il est la synthèse de la rencontre entre diverses nations. Les langues ne sont pas dogmatiques, elles évoluent au fur et à mesure de la progression des civilisations et des apports qu’elles reçoivent. De ce fait, à travers les siècles une multitude de poètes, d’écrivains et tout un monde d’intellectuels qui maîtrisaient à merveille la nôtre se sont exprimés et ont ainsi améliorés cette forme d’écriture et ce parler, que tu considères inconvenables. Après la chute de Montségur notre langue originelle ne fut donc plus apprise, malgré tout, sept siècles plus tard, elle survit et résiste encore tant bien que mal. L’Occitan fait parti de notre histoire nous le portons en nous. Il est chargé d’impénétrable, de non dits, il permet de suggérer les opinions, au fil des siècles il est devenu un langage hermétique. Suite au traité de Paris qui entérina la défaite du midi, il muta en arme de résistance face à la monarchie et son ordre, voilà peut-être l’une des raisons pour lesquelles il est demeuré notre langage de cœur. Aujourd’hui le brassage national et mondial des populations semble pouvoir en venir à bout. Les hommes ne sont plus ancrés à leur terre, le nomadisme des travailleurs ainsi que toutes les autres errances déstabilisent largement l’esprit premier des régions. Jusqu’à ces dernières décennies notre langage se transmettait par immersion, dans les familles, parmi les voisins, dans les lieux publics, mais voilà la qualité du bain s’appauvrit. Ceux qui maîtrisent le sujet se raréfient et de plus se dispersent à travers le Monde.
Arrête également de nous soupçonner de porter en nous des pensées autonomistes, comprends que lors des derniers conflits militaires, nos aïeux (comme tout ceux du reste de la Nation ailleurs) se sont donnés à fond pour la Patrie. Pour cette raison je ne te reconnais pas le droit de nous suspecter de vouloir prendre la liberté de nous gouverner nous-même. Considère tout simplement que nous sommes profondément attachés à ce pays congénitalement meurtri par la défaite de Montségur. Dans ces lieux, depuis des siècles, plusieurs centaines de générations et d’ethnies se sont transmis leurs gènes et leurs cultures. Comprends que quelque chose de profond se produit dans notre conscience et nous unit intimement quand au hasard d’une rencontre nous nous mettons à échanger dans notre mode d’expression et ranimons soudain des liens avec notre terre. Sache également que la République reconnaît à chacun de ses citoyens le droit de cultiver ses racines dans le respect de la constitution. Admet donc qu’en ce qui nous concerne il n’y a pas d’ambigüité à utiliser deux langues c’est-à-dire le Français et l’Occitan.
Mon cher ami, aujourd’hui la loi Molac prévoir d’inscrire dans les horaires normaux de l’enseignement, l’étude des langues régionales. Ouf ! L’école va enfin ouvrir ses portes à l’Occitan… Cependant je pense que pour le sauver il faudra bien plus que ce texte, en effet, quelques heures de cours par an n’y suffiront pas. J’ai la conviction qu’il sera nécessaire de numériser toutes les connaissances essentielles sur l’occitan et créer des logiciels de grammaire, de vocabulaire, de conjugaison ainsi qu’une bibliographie de références littéraires et proposer ces moyens pédagogiques à tous ceux qui sont passionnés par notre langue… Sachons vivre à notre époque ! Ne t’en déplaise, afin qu’il demeure populaire, à n’importe quel moment de la vie et ou qu’il se trouve, chacun, pourra ainsi entreprendre ou compléter d’une manière autodidacte l’apprentissage de notre dialecte que tu qualifies péjorativement de « jargon ». Le plus rapidement possible, il faudrait que les plus motivés d’entre nous souhaitant participer à ce sauvetage puissent s’immerger parmi les locuteurs résiduels.
A propos de l’Occitan on parle de l’ancien et du contemporain ce qui prouve bien qu’il n’est pas dogmatique, malgré l’interruption de son enseignement il a plus ou moins évolué. Néanmoins, il me semble que dans la période actuelle ces transformations devraient s’accomplir au rythme de la progression technologique et des évolutions culturelles de la société. Pour effectuer ces ajustements, il serait souhaitable que des étymologistes, des syntacticiens, des grammairiens et autres linguistes s’emploient à réaliser les mises à jour. Nous savons qu’une langue qui n’évolue pas, meurt, si elle n’est plus apprise d’une manière efficace, elle fait son chemin et s’égare de ses règles pour devenir un vulgaire patois. Actuellement il semblerait qu’il existe un réel engouement pour partir à la recherche du « Gay savoir » ou du « Trobar clus » les fameux modes d’expression des troubadours. En effet un bon nombre d’entre nous brûle d’aller explorer la poésie lyrique les belles lettres des XI ème, XII ème, XIII ème siècles. Nous devons donc, sans plus tarder, rendre à notre dialecte toute sa place. Il a fallu attendre le XIX ème siècle pour une renaissance de la littérature d’Oc. Souhaitons que la loi Molac engendrera de nouveaux Mistral, Perbosc ou Estieu. Je suis persuadé qu’en ces temps perturbés, la promotion de l’Occitan pourrait apporter une nouvelle donne culturelle à notre région. Mon cher ami, admet qu’il n’y a pas de mal à s’exprimer entre nous dans notre langue indigène sur les sujets internes à notre société, notre histoire, ainsi qu’à tout ce qui nous rattache à l’existence. Ces dernières années les pyrénéens s’efforcent de réintroduire l’ours, tu as certainement pu te rendre compte des difficultés auxquelles ils se confrontent pour effectuer cette mission. Si sa protection avait été entreprise plus tôt, les multiples problèmes que nos compatriotes rencontrent ne se seraient probablement pas posés. Je suppose qu’il pourrait en être de même pour l’Occitan, si nous le laissions mourir, les générations futures se retrouveraient devant autant d’obstacle pour le remettre à flot. En plus de toutes les difficultés techniques que cela représenterait, je suis persuadé qu’une foule de détracteurs venue de je ne sais où, s’organiserait aussitôt pour mettre fin à toute tentative de restauration, il n’y a qu’à t’écouter pour s’en rendre compte. Il faut savoir devancer le temps pour l’empêcher d’accomplir son œuvre destructrice. Ne t’en déplaise, les occitans doivent se mobiliser au plus tôt, la survivance de notre seconde langue est un combat qui s’adresse à tous les Hommes de bonne volonté, prêts, à s’employer pour relever le défit : ce que je fais en te demandant de reconsidérer tes propos. Comprends qu’il ne peut y avoir d’Occitanie sans son mode d’expression, comme il ne peut y avoir de France sans sa diversité culturelle régionale. Notre pays a le mérite de posséder une langue unique : le français, qui fédère la nation entière. Les langues dialectales lui apportant un appoint culturel qui rattache les citoyens à leurs coins de terre, à leur histoire, à leurs racines, en sommes aux origines de notre civilisation nationale. La technologie existe, sachons l’utiliser, j’ai la certitude qu’elle nous aiderait à concrétiser cette besogne et remplir ce contrat moral qui nous lie à notre passé, notre patrimoine ainsi qu’aux générations futures.
Mon cher ami, je te comprends mal, je ne parviens pas à percevoir ce qui te gêne quand nous nous exprimons dans notre idiome. Médite sur mes propos, pouvoir débattre renforce l’amitié et permet quelque fois de réaliser de belles choses. Je te serre la main, à bientôt.