Actualités : La maisonnette de Dreuilhe
Michèle Taillefer-Pédoussat
La maisonnette de Dreuilhe
Par Michèle Taillefer-Pédoussat
Sur la voie de chemin de fer Lavelanet-Bram, au passage à niveau n°25, la « maisonnette » de Dreuilhe, c’est ma maison natale, c’est là que j’ai vécu mon enfance et mon adolescence, jusqu’à quinze ans, dans ma famille de « cheminots ».
A ma naissance, la « maisonnette » abritait déjà: mon frère René âgé de quatorze ans, mes parents et mes grands-parents Gratien et Marie. Elle nous logea, dès lors, tous les six pendant quelques années …
Mon grand-père Gratien Abeilhé né dans le Gers (1872-1964) est le premier à intégrer la « Compagnie des Chemins de Fer du Midi ». Chauffeur sur les locomotives à vapeur, en poste à la gare de Moulin-Neuf, il a montré la voie à son fils André, à sa fille Valérie-Baptistine et à son gendre François Taillefer (mes parents) qui ont eux aussi trouvé un emploi en entrant au service de cette Compagnie devenue quelques années plus tard, en 1936, la Société Nationale des Chemins de Fer français.
Toutes construites sur le même plan, les « maisonnettes » de la SNCF jalonnent la voie ferrée entre deux gares ; leur nom le dit déjà : elles n’étaient pas bien grandes ! Un étage cependant avec une grande et une petite chambre. Au rez-de-chaussée une pièce carrée avec cheminée et évier, la pièce où l’on vivait. De là, une porte donnait accès à un escalier et à une minuscule troisième chambre. Sous cet escalier, un cagibi avec un petit « fenestrou », ouverture qui permettait de surveiller la voie ferrée, il ne fallait pas l’obstruer et il n’y avait pas de vitre ; ce petit coin était l’espace fraîcheur qui remplaçait avantageusement le réfrigérateur, surtout l’hiver !
Ma mère Valérie-Baptistine Taillefer (1902-1997) fût nommée garde-barrière ici en 1933 tandis que son époux François Taillefer (1899-1981) employé comme cantonnier pour l’entretien des voies ferrées, effectuait à vélo le trajet Dreuilhe-Mirepoix pour rallier le point de départ de son équipe de travail : soit dix-huit kilomètres, deux fois par jour, pendant plusieurs années.
Il faut croire qu’ils s’y trouvaient bien dans cette « maisonnette » même si elle n’offrait qu’un confort rudimentaire…
Quelquefois, un responsable de la SNCF : Le « Conducteur » venait faire sa visite de contrôle : un moment un peu stressant pour la garde-barrière qui devait présenter, en bon état de fonctionnement la lanterne, le drapeau rouge, les pétards à clipser sur les rails : accessoires qui auraient pu servir à arrêter un train, si un évènement imprévu avait encombré la voie. Ces objets devaient obligatoirement rester rangés à portée de main, sur une étagère dans la pièce principale. Je crois qu’ils sommeillaient en paix sous un peu de poussière, car heureusement (si ma mémoire est fidèle !) aucun incident notoire ne nécessita leur utilisation. Le « Conducteur-Contrôleur » vérifiait aussi, me semble-t-il, l’état des lourdes barrières de fer : les roues étaient-elles bien graissées et la gouttière au sol bien nettoyée ?
Mes souvenirs remontent à la période 1950-1960 : Le train ! Comme il était important ! C’était l’élément majeur autour duquel s’organisait la vie de la famille.
Ce train ne transportait plus de voyageurs depuis 1946 mais seulement des marchandises. Dans ces années-là, il effectuait chaque jour un aller et retour de Bram à Lavelanet : en fin de matinée arrivée à la gare de Lavelanet qui était le terminus, dans l’après-midi, retour vers Bram.
J’ai moi aussi, certains jours, poussé les lourdes barrières de fer, j’ai entendu le sifflet puissant de la locomotive annonçant son arrivée ; je l’ai vu, ce train, passer bruyamment dans un bruit de ferraille et faire trembler les rails, je l’ai vu, parfois, écraser une poule imprudente …et exceptionnellement, je l’ai vu ralentir, faire une halte pour laisser descendre mon oncle André chef de train à la SNCF et au retour, s’arrêter pour le laisser remonter, juste après une petite visite à la famille en passant !
Aucune construction, à part une grange, n’existait à cette période, de l’autre côté de la voie. Là où s’élèvent actuellement de nombreuses maisons et une filature, seuls, les bois, les prairies et les petits champs de blé ou d’avoine composaient le paysage jusqu’aux rochers calcaires de « La Peyro Traoucado ».
Le chemin qui traversait la voie ferrée était un chemin vicinal. Il fallait gérer la circulation des troupeaux de vaches qui allaient paître, des attelages avec les charrettes chargées de foin ou de gerbes de blé et aussi le passage des engins agricoles tirés par des animaux, qui accompagnaient les paysans allant travailler leur terre : labourer, herser, faucher leurs champs ou leurs prés. Il arrivait rarement que le train ait un peu de retard et les animaux s’impatientaient derrière les barrières fermées ! Alors, après avoir longuement scruté la voie au loin, vers la courbe de « l’Entounadou », pour vérifier que le train n’apparaissait pas encore, la garde-barrière s’autorisait à rouvrir les barrières, faire traverser les impatients et refermer bien vite le passage…
En ce temps là, de rares voitures empruntaient ce chemin : celles de chercheurs de champignons vers les bois de châtaigniers ou de quelques amoureux cherchant un peu de tranquillité dans les sous-bois !
La garde-barrière a assuré fidèlement la surveillance de ce passage pendant 40 ans, jusqu’à ce que le dernier train soit passé !
La ligne Bram-Lavelanet étant fermée en 1973, elle se résolut alors à quitter sa « maisonnette » et à vivre, à peine plus loin, avec son époux, sa nouvelle et longue vie de retraitée.
La voie ferrée est maintenant voie verte : plus de train, plus de barrière, plus de garde-barrière… la « maisonnette » elle, est toujours là, métamorphosée en maison ! D’autres familles l’ont achetée, agrandie, rénovée, et lui font vivre une nouvelle vie ! Pour les randonneurs, les touristes, les ariégeois, qui savent la découvrir dans son écrin de verdure, elle témoigne d’une autre époque à la fois si proche de nous et si lointaine par le mode de vie de la population !
Avec ses angles de murs aux belles pierres taillées, la bordure festonnée de son toit, elle reste un petit élément parmi les magnifiques ouvrages de pierre venus enrichir le patrimoine du Pays d’Olmes, grâce à la SNCF et à ses « cheminots » si fiers d’avoir participé à cette magnifique aventure !